La valeur de la start-up ou le tour du funambule !
La start-up [start.ep] : c'est quoi ?
On assimile souvent à tort la traduction littérale de cet anglicisme ("entreprise qui démarre") à "jeune entreprise innovante". Mais, la définition la plus communément partagée est celle de Steve BLANK (l’un des pères fondateurs de la Silicon Valley dans les années 80) : une "organisation temporaire à la recherche d'un business model industrialisable, rentable et permettant la croissance".
La start-up se différencie donc d’une entreprise traditionnelle car la première explore la manière de créer de la valeur. Alors que la seconde essaie d’optimiser la création de valeur en s’appuyant sur une organisation déjà en place. Cette différence fondamentale a des conséquences techniques sur l’évaluation de l’entreprise.
Comment appliquer les méthodes classiques ?
Dans l’article "Quelle est la valeur de votre entreprise" de notre blog, nous avons décrit les 3 principales méthodes.
La "méthode patrimoniale" est hors-jeu
La "méthode patrimoniale", qui capitalise la création de valeur historique, n’est pas utilisable puisqu’elle aboutit à une valeur quasi nulle !
Les 2 autres méthodes classiques doivent être adaptées
La "méthode de rendement", consistant à actualiser les flux économiques futurs, peut être appliquée à condition de pratiquer certains ajustements. En effet, le business plan demeure problématique (voir dans le blog : "Comment construire un business plan ?"). Les prévisions étant élaborées sans aucun référentiel historique, il y a une dépendance accrue au poids de la valeur terminale. Le premier ajustement consiste alors de raisonner sur plusieurs scénarios probabilisés. Dans la First Chicago Method (créée dans les années 70-80 par l’équipe de capital-risque de la banque de même nom), on construit généralement 3 scénarios (faillite, sortie moyenne, belle sortie) et on définit la probabilité de réalisation de chacun ( !).
Le second ajustement concerne le coût du capital qui n’est plus calculé selon la formule classique. L’investisseur fixe celui-ci selon le niveau de risque pris (à ne pas confondre avec le TRI moyen attendu). Il varie entre 30 et 70% selon la nature du tour de levée de fonds (création, amorçage, séries A …).
Enfin, la "méthode des multiples" nécessite aussi une adaptation puisque le chiffre d’affaires est quasi inexistant et les soldes de profitabilité sont très souvent très négatifs ! On retient alors un multiple selon un indicateur opérationnel d’activité (par exemple prix par abonné mobile dans les années 90). Ou un multiple de CA au décollage de l’activité (2x à 20x en moyenne selon le secteur et sa maturité).
Quelles sont les méthodes alternatives ?
Autant la start-up aspire à la création de valeur, autant les professionnels de l’investissement dans les start-up sont créatifs …
Ceux-ci ont recours à 2 familles de méthodes : la "méthode du BA" (Business Angel en anglais) et la "méthode du VC" (Venture Capitalist en anglais, i.e. capital-risque).
La "méthode du BA"
La "méthode du BA" est une méthode qualitative par notation (BERKUS, PAYNE, Scorecard, et dérivés depuis les années 90). On l'utilise en particulier lorsque la start-up n’a encore aucun chiffre d’affaires. Celle-ci consiste d’abord à trouver une entreprise existante comparable dont la valeur est connue. Puis on applique des décotes selon des critères de risque/succès (bonne idée, momentum, management, marché, business model, technologie, réglementation …). La valeur d'entrée se calcule alors par la somme pondérée des critères appliquée à la valeur initiale comparable.
La "méthode du VC"
La "méthode du VC" est une méthode quantitative par triangulation entre une valeur espérée de sortie de l’investisseur et une dilution acceptable par les entrepreneurs. En pratique, la valeur des fonds propres correspond à la valeur de sortie actualisée au coût du risque décrit ci-dessus (ou divisée par le multiple attendu par l’investisseur) de laquelle on déduit le montant du financement nécessaire en fonds propres. Ensuite, on applique la quote-part du capital détenu après une dilution "raisonnable" (30% minimum) pour obtenir la valeur "pre-money" théorique. La part de capital détenue par l’investisseur étant le ratio entre le montant investi et la valeur "post-money", la négociation impliquera probablement plusieurs itérations pour atteindre le seuil d’acceptabilité de la dilution ...
À noter que les Business Angels utilisent aussi une version dérivée de cette méthode. La valeur "post-money" s'obtient tout simplement en divisant le montant de la levée de fonds par leur quote-part de capital.
Ces 2 méthodes sont donc très pragmatiques et assez éloignées des méthodes classiques.
En conclusion
Il demeure un paradoxe dans l’application des méthodes d’évaluation entre une start-up et une entreprise traditionnelle :
Imaginons une start-up qui prévoit un CA de 1 M€ à 3 ans : quel que soit le projet, si celui-ci présente un minimum de crédibilité, sa valeur est statistiquement bien supérieure à 500 k€ qui est quasiment le montant minimum d’une levée de fonds … et toutes les start-ups n’atteignent pas un CA de 1 M€ après 3 ans ou plus.
En revanche s’il s’agit d’une entreprise traditionnelle qui réalise un CA de 1 M€ en croissance avec un résultat net de 50 k€ (5% de marge nette), alors sa valeur restera très inférieure à 500 k€ (le PER, "Price Earning Ratio", est de 6,2x en moyenne dans le baromètre de valorisation des PME publié par ABSOLUCE en 2020) !
Entre les méthodes classiques adaptées à la start-up et les méthodes alternatives, il faut dès lors bien maîtriser le numéro du funambule pour réussir la levée de fonds lors du tour de financement …
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